Vendredi 13 janvier 2012, pour bien commencer l’année, Autour du 1er mai et Peuple et Culture vous donnent rendez-vous au cinéma de Tulle pour la projection de La Rue est à eux, un documentaire d’Isabelle Regnier, sur Rue 89, « site d’information et de débats sur l’actualité ». Isabelle est elle-même journaliste au Monde.
Dans quel contexte a été réalisé ce film ?
Pour replacer ma démarche dans un contexte, il faut se projeter 4 ans en arrière, lorsque j’ai eu envie de réaliser ce documentaire. A la fin de l’année 2007, la presse papier traversait une grande crise, alors qu’au même moment foisonnait une nouvelle forme de journalisme : la presse Internet, avec notamment la création de Rue 89, Mediapart, Bakchich… Ainsi, alors qu’était ressenti au sein des équipes des grands journaux un sentiment d’angoisse et de peur, une nouvelle forme de journalisme se développait sur Internet, à l'initiative de journalistes issus de la presse papier, qui s'entouraient de jeunes qui eux n'avaient jamais travaillé ailleurs. Indéniablement, une nouvelle pratique était en train de naître, avec de nouveaux codes : un lecteur qui participe et donne son avis, des supports multiples (photo, article, film, dessin…), et des formats variés. C’est cette nouvelle pratique que j’ai voulu interroger.
Quelle a été votre approche de Rue 89 ?
J’ai alors choisi de travailler sur Rue 89, car, en 2007, lorsque j’ai été rencontrer l’équipe pour proposer et monter mon projet, un vrai côté « laboratoire » transparaissait : beaucoup de choses étaient testées, discutées, on modifiait, on retravaillait, je trouvais cette ambiance de travail particulièrement intéressante. J'ai eu envie de creuser.
Finalement, mon projet a un peu changé car, lorsque je suis revenue en 2009 pour filmer, le côté « laboratoire » était moins présent, et j’ai trouvé alors plus intéressant de questionner le côté « media participatif » dont se réclame Rue 89. La devise de ce site est « La Rue est à nous », j’ai voulu savoir ce qui se cache derrière cette phrase : qui participe, comment, quel est le nouveau rôle des journalistes, et celui des lecteurs.
On ressent une certaine tranquillité, une lenteur agréable dans vos images, vous avez pris le temps de filmer, vous êtes allée plusieurs fois à la rencontre des gens… Racontez-nous ce tournage…
Oui, ce film a été réalisé dans la durée, j'ai tourné de mars à septembre 2009. Je me suis attachée à suivre le traitement des sujets dans la durée pour comprendre le fonctionnement de Rue 89. Par exemple, grâce à la grande disponibilité de Sophie Verney-Caillat, j'ai pu saisir une véritable expérience journalistique qu'elle mettait en oeuvre à l'époque, un travail au long cours mené auprès des salariés de l’usine Continental au moment où l'usine était menacée de fermer. Je faisais des allers retours entre la production de l'information et sa réception, en allant régulièrement prendre le pouls du côté des "riverains", comme on appelle les internautes de rue89. J'avais choisi deux des intervenants les plus célèbres du site, que je faisais se rencontrer à intervalle régulier dans un Internet café à Paris, et à qui je demandais de discuter de l'actualité, de son traitement dans la presse et sur rue89 en particulier, de leurs pratique de commentateur et éventuellement bloggueur sur Rue89.
Comment le film a été reçu par l’équipe de Rue 89 ?
Les réactions ont été diverses. J'ai raconté une histoire de Rue89. Il y en avait 1000 possibles. Certains ont apprécié mes partis pris, d'autres moins. L'effet de miroir déformant qu'ont pu produire mes choix a été je pense assez déconcertant pour certains.
Au montage de fait, j'ai renoncé à beaucoup de choses que j'avais filmées, et que j'aimais bien. Sans parler du cas du journaliste qui ne m'a pas donné son autorisation de droit à l'image, de nombreux membres de l'équipe n'apparaissent jamais dans le film. C'était pour moi la manière la plus efficace de raconter une histoire, et de poser des questions sur le journalisme. Mais évidemment, cela ne pouvait pas donner, au final, une image objective et exhaustive de la boite. Ensuite, on peut se demander si une telle image est possible. Ce qui est sûr c'est que le film renvoyait une image très différente de celle, très urbaine, jeune, branchée (qui est de manière tout aussi légitime une image de Rue89) qu'ils renvoyaient d'eux-mêmes à l'époque via les réseaux sociaux. Si l'on ajoute à cela le fait que l'expérience de Sophie se termine mal, et que son sujet, "une vieille industrie qui se meurt" comme elle dit, n'est pas particulièrement emblématique de ceux habituellement traités par ce site, j'ai eu le sentiment que mon documentaire n'a pas forcément été facile à digérer par tous les membres de l'équipe. Ce qui me parait tout à fait normal. Rue89 est une petite boite, encore économiquement très fragile, à qui ses salariés donnent tout ce qu'ils ont. Je leur suis, pour cela, d'autant plus reconnaissante de m'avoir laissé les filmés. Sans compter que ce sont des journalistes, qui savent très bien ce que peut l'image. De leur part, c'était à la fois généreux et audacieux.
Aujourd’hui, il faut bien se mettre à l’esprit que même si ce film est récent, les choses ont beaucoup changé depuis, Rue 89 a beaucoup évolué, ils ont déménagé, d'autres outils ont été mis en place, l'équipe a été largement renouvelée... A l'échelle d'Internet, deux ans, c'est presque l'équivalent d'une génération. Ce film est déjà un film historique, c'est une photographie de Rue 89 à un temps T.
Nous vous donnons rendez-vous vendredi 13 janvier à 21h00 au cinéma Le Palace, à Tulle, pour la projection du film, qui sera suivie d'une rencontre avec Isabelle Regnier. N'hésitez pas à nous contacter pour tout renseignement complémentaire